Réforme de l’impôt des sociétés : cotisation spéciale et relèvement de la rémunération d’un dirigeant, pertinentes ou imbuvables mesures compensatoires ?

A la suite de mon article d’hier qui avait pour but de contribuer à éclairer quelque peu les effets de la réforme dans le brouhaha politique, revenons sur deux points de celle-ci qui restent en travers de certaines gorges à tort ou à raison

1° La cotisation spéciale distincte.

Pour rappel, cette nouvelle disposition fiscale qui n’existait pas avant la réforme, vise à imposer une cotisation de 10% à partir de 2020 (5% en 2018 et 2019).

La base de cette cotisation se calcule sur la différence de la rémunération réellement allouée à au moins un dirigeant de l’entreprise et le seuil fixe de 45.000 EUR ou à concurrence du résultat imposable si ce dernier est inférieur à 45.000 EUR

On aura compris que cette cotisation a pour objectif d’être compensatoire à la forte baisse du taux plein 25 vs 33,99 (on parle quand même d’une diminution de 26,45% de l’actuel taux plein).

Et le but semble concrètement de ne pas permettre un effet d’aubaine induit par la baisse des taux nominaux à des entreprises qui participent moins à l’IPP (bien que le fait de ne pas rémunérer de dirigeant ne veut pas dire qu’il n’y ai pas de salarié(s) dans l’entreprise et inversement).

On sait aussi que le choix de la société est régulièrement retenu pour servir de véhicule à la gestion et la détention de patrimoine(s) immobilier(s) par exemple, sans autre réelle activité économique que de détenir pour x et y raisons un ou des biens en société.

On a aussi vu des mandataires politiques de gauche et de droite, je ne citerai pas de noms, monter leur ‘petite entreprise de consultance’ pour recueillir le fruit économique direct ou indirect de leur(s) mandat(s) dérivé(s) à meilleur compte fiscal que celui réservé aux personnes physiques.

Il faut être clair, la réforme en tant que telle ne pénalisera pas ces choix, mais, sauf erreur intellectuelle de ma part, il me paraît de bonne gouvernance de ne pas leur accorder les pleins effets de la baisse des taux nominaux et de les réserver à d’autres acteurs du tissu économique.

Cas concrets :

« Mon comptable m’a dit que j’allais payer 4.500 EUR puisque ma boite ne me rémunère pas, vrai ou faux ? »

Oui c’est vrai, mais c’est faux aussi, car la réponse est soit incomplète dans le chef du comptable, soit, et c’est plus souvent le cas, le chef d’entreprise n’en a retenu que ce qu’il voulait bien en retenir…

Si l’entreprise rémunère uniquement un dirigeant à la hauteur 20.000 EUR, que sa base imposable est d’au moins 45.000 EUR, par application de la nouvelle disposition, la cotisation sera de 10% de 25.000 EUR, soit 2.500 EUR.

  • Précision, par rémunération on entend les émoluments proprement dit et les éventuels avantages de toutes natures (ATN), si ceux-ci sont repris en charges de l’entreprise.

A ce titre un dirigeant qui se rémunère 36.000 EUR, auxquels s’ajoutent le paiement de ses cotisations sociales par la société, pour faire simple d’un montant de 7000 EUR et enfin d’un ATN voiture de 2000 EUR, totalise donc 45.000 EUR et atteint par conséquent le seuil fatidique des 45.000 EUR. Seuil qui en outre correspond au minimum permettant l’accès au taux réduit qui sera de 20%.

Les effets de la cotisation sur la charge fiscale réelle :

Prenons l’exemple d’une société qui n’alloue pas de rémunération dirigeant(s) et enregistre une base imposable de 20.000 EUR.

Jusqu’à présent elle devait régler 33,99% d’impôt sur son résultat fiscal, soit 6.798 EUR

Avec la réforme elle paiera d’abord une cotisation de 2.000 (10% de 20.000) par application de la nouvelle norme et ensuite 25% (taux réduit 2020) de la différence, soit (20.000 – 2.000) x 25% = 4.500 EUR. Impôt total 4.500 EUR + 2.000 EUR = 6.500 EUR.

En conséquence, les entreprises qui enregistrent une base imposable jusqu’au seuil de 45.000 EUR supporteront une charge fiscale réelle de 32,5% à comparer avec le taux nominal de 25%

Au-delà de 45.000 EUR, la charge fiscale réelle va diminuer jusqu’à tendre vers le taux nominal de 25%, logique puisque cette cotisation n’a pas de base proportionnelle mais fixe (45.000 EUR), ses effets se diluent donc proportionnellement à ce qui dépasse sa valeur de seuil.

Exemples :

  • 50.000 de base imposable > prélèvements réels de 31,75%
  • 80.000 de base imposable > prélèvements réels de 29,2%
  • 125.000 de base imposable > prélèvements réels de 27,7%
  • 200.000 de base imposable > prélèvements réels de 26,68%
  • 300.000 de base imposable > prélèvements réels de 26,1%

Le premier raisonnement consisterait à considérer que plus la société dégage de la base imposable, plus elle contribue en valeur absolue aux recettes fiscales, mais dans ce cas de figure, il n’y avait pas de progressivité de l’impôt sociétés (sauf dans les limites du taux réduit progressif) avant et ici on vient d’en créer une et inversement proportionnelle de surcroît !

Le second serait, à défaut de voir cette cotisation abandonnée, de la rendre progressive dans le bon sens du terme, c’est à dire de manière à ce que le pourcentage de charge fiscale réel soit identique ou presque pour toutes les entreprises indépendamment de leur résultat et dans le même taux nominal d’imposition (taux plein ou réduit).

J’imagine que les recettes escomptées rentrent dans l’équilibre budgétaire de la neutralité voulue dans le cadre cette réforme et qu’il faudrait tout revoir, néanmoins, la manière donc cette cotisation est appliquée me semble mal calibrée et la rend illisible et conspuée par beaucoup.

2° Le relèvement du seuil de rémunération à 45.000 EUR, impayable 

La seconde mesure compensatoire imaginée consiste à relever le seuil minimum de rémunération allouée à au moins un dirigeant de 36.000 EUR à 45.000 EUR ou à concurrence du résultat imposable si ce dernier est inférieur à 45.000 EUR.

Là ça crie, pourtant dans l’absolu, j’ai démontré plus haut que dans la modélisation classique d’une politique de rémunération du dirigeant, le seuil des 45.000 EUR était vite atteint.

J’entends Monsieur le patron criant que sa petite entreprise ne peut se permettre de le payer autant. Certes ! Mais je lui rappelle la seconde condition (qui était par ailleurs tout autant valable avec la règle des 36.000 EUR > ou à concurrence du résultat imposable si ce dernier est inférieur à 45.000 EUR.

Une PME qui ne dégagerait que 30.000 EUR de base imposable hors rémunération peut se contenter de payer son dirigeant 15.000 EUR, on est donc très éloigné de l’épouvantail des 45.000 EUR.  A contrario, il faut que l’entreprise présente une base imposable de 90.000 EUR hors rémunération pour être contrainte de rémunérer son dirigeant 45.000 EUR et ainsi bénéficier du taux réduit et échapper à la cotisation distincte.

Nous ne sommes plus vraiment face à l’entreprise moribonde qui serait achevée par la voracité fiscale à charge des PME comme certains veulent le laisser entendre.

Dans mon tableau précédent, j’expliquais que la charge fiscale d’une PME avec 50.000 EUR de base imposable, qui entrait dans les conditions de l’ancien taux réduit (donc respectait le seuil des 36.000 EUR) serait soumise à l’avenir à la cotisation distincte et au taux plein sans adapter sa politique de rémunération actuelle.

Sa charge fiscale totale passerait de 14.227,50 EUR (taux réel 28,4%) actuellement à 13.175 EUR (taux réel 26,35%) cotisation distincte comprise avec la réforme.

Donc c’est exact qu’elle s’éloignera des 20% du taux réduit nominal mais verra quand même un petit avantage fiscal à la réforme.

Comme les promesses électorales, la Noël fiscale n’engage que ceux qui y ont cru.

Encore qu’il faille dans l’histoire retenir l’objectif n° 1 de la réforme, rendre notre pays plus attractif fiscalement en espérant attirer des entreprises. Et si ce résultat se concrétise le gâteau à partager devrait pouvoir permettre aux gouvernements futurs d’être plus généreux avec ses entreprises.

Voilà de quoi tuer beaucoup de considérations farfelues, dont la nature exaspère, bien que cela constitue le jeu politique et ses postures tantôt théâtrales tantôt réfléchies.

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Olivier Baum

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